⁍ La Guyane : spécificité du terrain, décors et horizon 1/4 : la démographie

L'objet de cette série de textes est de présenter dans sa globalité le contexte local de l'intervention et de déterminer en quoi il contingente le travail de terrain du psychologue. 
Les sources seront ajoutées en bibliographie. Des schémas étaient prévus mais il est difficile de les transposer, certainement viendront-ils plus tard. Enfin, entre le paragraphe introductif et ceus relatifs aux aspects démographiques prenaient place, à l'origine,tout un développement sur l'histoire de la Guyane. Cces développements demeurent hors de ce blog, au moins pour l'instant.
 
1-Présentation globale

Les Guyanes, dont la Guyane française sont souvent catégorisées en partie à tord comme étant une région de l’amazonie. Elles en constituent une sous-région à part, il est possible de dire qu'elles en sont dans une certaine mesure séparées : « il n’est pas infondé de considérer les Guyanes comme une immense île reposant sur un plateau Précambrien, délimitée au sud par le fleuve Amazone, à l’ouest par le Rio Negro et le Canal de Casiquiare, au nord par l’Orénoque et à l’est par l’océan Atlantique » (Rostain et Versteeg, 2003). Le bassin des Guyanes est « séparé » du bassin amazonien par une série de monts d’une hauteur de 900 (à l’ouest) à 500 mètres en Guyane française et appartient à un bassin versant différent ; sa taille est d'environ 1 800 000 km2 (Rostain, 2003). Contrairement au bassin amazonien où les fleuves coulent de l’ouest vers l’est (pour se jeter dans l’océan atlantique), les fleuves des Guyanes coulent du sud vers le nord pour trouver leurs embouchures dans la mer des caraïbes. Néanmoins les climats, systèmes topographiques, la faune et la flore sont globalement identiques.

La région est à cheval sur cinq pays : la moitié est-nord-est du Venezuela, le Guyana, le Suriname, la Guyane française et l’Etat de l'Amapá au Brésil. Délaissée par les couronnes Ibériques lors du traité de Tordesillas en 1494 qui leur « attribuait » les Guyanes, les Anglais (au Guyana), les Hollandais (au Suriname) et français vont s'y installer, fondant des sociétés tournées vers les Antilles, une « anomalie » dans ce continent originellement dominé par les deux royaumes de la péninsule ibérique (Granger, 2008). Seule la Guyane française1 déploie de nos jours un standard de société occidentalisé. Les pays alentours sont fortement marqués par la pauvreté et des situations sociales en tension comme c’est le cas au Vénézuela toujours en crise, au Guyana qui aura connu ses premières « élections libres » en 1992 (du fait de la crainte des gouvernements US de voir arriver au pouvoir Cheddi Jagan, considéré comme Marxiste, les Guyaniens devront attendre la chute du bloc soviétique pour pouvoir prendre leur destin en main) au Suriname, traversé par une guerre civile entre 1980 et 1990 et au Brésil, dictature jusqu'en 1984 marqué comme les autres pays par une criminalité institutionnelle à la limite du soutenable. Le Brésil est depuis devenu un moteur. Les Guyanes sont donc à cheval entre une Amérique latine, dominée dans cette zone par l’influence croissante de la société brésilienne mais les problématiques des zones mitoyennes la rapprochant à bien des égards de la zone caraïbe (Granger, 2008). Notons surtout, en périphérie, des situations toujours critiques dans la cordillère en Colombie, en Équateur et au Pérou, des situations tendues dans les Antilles indépendantes (Jamaïque, République dominicaine, Ste-Lucie...) et l'effondrement de certains états (Vénézuela et surtout Haïti). La criminalité y est partout globalement élevée : la Guyane française voit chaque année un nombre d'homicide équivalent, en nombre absolue (entre 80 et 85), à celui de la ville de Marseille qui fait pourtant régulièrement la une des journaux en la matière, pour une population trois fois supérieure au DROM d'Amérique du Sud. Par conséquent, la légion étrangère opère en continue ; l’état d’exception est la règle, la principale route est contrôlée en permanence par les forces armées. La crise a culminé entre 2014 (début de l’opération militaire Harpie et mise en place de check-point sur la route principale) et 2017 (blocage totale de la Guyane par un mouvement social).

La région est faiblement peuplée, la population se concentre sur les agglomérations littorales (Georgetown, capitale du Guyana ; Paramaibo, capitale du Suriname, et Cayenne en Guyane française – 25% des habitants de Guyane y résident, 45% résident sur l'île de Cayenne). En effet, la zone est dominée par une forêt équatoriale peu propice à l'habitat, ce qui signifie que la région se caractérise par un climat tropical. Mais les paysages sont bien entendu plus complexes : les systèmes fluviaux sont complexes, les nombreuses rivières zigzaguent entre les massifs de colline et traversent ponctuellement d'importantes zones de savanes et de larges zones de marécages. Un dernier type de paysage est le système côtier au large duquel des îles, souvent des archipels, offrent un climat plus doux.

La zone des Guyanes est faiblement industrialisée, le CSG (Centre Spatial Guyanais) fait office d'étrange exception, morceau de condensé de technologie voyant des fusées décoller au dessus des bidonvilles Haïtiens et quartiers Bushinenge de Kourou ainsi que des villages Amérindiens situés non loin des communes Hmong. Car la zone des Guyanes se caractérise par un brassage de populations et de cultures : s'y côtoient les restes des civilisations Amérindiennes, les sociétés Bushinenge (neg'marrons) Néerlandophones ou Anglophones, descendants d'esclaves, de colons juifs Allemands arrivés au XVIIème siècle, habitants arrivant de la zone caraïbe Hispanophones, Creôlophones ou Jamaïcains, les ressortissants des pays de la cordillère, des Libanais (14% de la population du Suriname est musulmane), des Hmong revendiquant leur ascendance Mongole, des indiens d'Inde et des Sri Lankais, des Chinois, des migrants Syriens arrivés par la filière africaine, des africains du Golfe de Guinée, des Javanais et des européens et même quelques russes lorsque ces derniers venaient encore s'occuper des installations Soyouz du CSG, principalement construit par de la main d’œuvre brésilienne dans les années 1970 (Granger, 2008).

2-Aspects démographiques

« La Guyane française de 1865 compte 32 070 habitant·es, dont 2 523 travailleurs et travailleuses étrangers·ères, 7 912 bagnard·es et environ 1 800 Amérindien·nes » nous dit Lamaison (2018). La population était estimée à 23.000 habitants en 1946 (Tsayem Demaze, 2008). La fermeture des bagnes explique cette dépopulation. Le nombre d'habitant s'élèverait en 2023 de plus de 300.000, soit une multiplication par plus de 10 en un demi-siècle2 (Carde, 2010). Les populations améridiennes n'ont cessé de décroître que dans les années 1960. Dans une thèse de médecine de 2019, se basant sur L'histoire de la Guyane de Mam Lam Fouk, A.Ratsaphoumy Jurine affirme « On compte moins d'un millier d'Amérindiens au moment où le régime départemental se met en place. Dans l'Intérieur, les Wayampi étaient 6000 en 1824 ; ils ne sont plus qu’environ 700 en 1840 Quant aux Wayana, ils étaient 5000 en 1890, ils ne sont plus que 500 en 1950 ».

Les caractéristiques démographiques que nous allons détailler dans ce paragraphe (solde naturel, âge moyen, taux de natalité...) font que la dynamique territoriale, déjà singulière si elle est comparée aux territoires mitoyens, est assez peu assimilable à celle des territoires insulaires français des Antilles (Breton, Condon et al. 2009). « En hypothèse moyenne, [la Guyane] comptera 574 000 habitants en 2040 » (Cambrézy, 2015) soit approximativement le double de l'année 2018.

Le nombre d'habitants en Guyane est excessivement difficile à appréhender. Du fait des constants passages frontaliers, des arrivées continues, de l'important taux de fécondité (et de la mortalité infantile importante), donner la taille de la population en Guyane relève du contresens. L'Atlas Critique de la Guyane (dir. Noucher et Polidori, 2020, eds CNRS) se refuse même à donner une estimation. Ceci pour dire que les chiffres donnés peuvent être considérés au mieux comme une approximation de la composition de la population Guyanaise, fussent-ils donnés par l'INSEE.

« En 2005, 32 % des résidents de Guyane sont nés à l’étranger, et parmi eux, 12 % habitent en Guyane depuis moins de 5 ans » (Breton, Condon et al. 2009). Selon Granger « La population étrangère en Guyane constituerait près de 40 % de la population totale, certaines estimations la voient même majoritaire, et plus de la moitié des naissances lui sont imputées car les comportements démographiques restent les mêmes que dans le pays d’origine, où la fécondité est très élevée. » (Granger, 2008). Deux événements géopolitiques majeurs expliquent en partie cette augmentation : 1-la guerre civile au Suriname (1982-1990 ; les combats et massacres ont eu lieu en majorité sur l'est du territoire Surinamais, à la frontière, donc, de la Guyane) avait conduit le taux d'augmentation annuelle de la population en Guyane à frôler les 6% (Tsayem Demaze, 2008). Notons que la guerre civile du Suriname a entraîné le déplacement vers l'ouest guyanais, en plus des Bushinenge du Suriname, de Chinois (Dubost, 2020) et de travailleurs Haïtiens résidant jusqu'alors au Suriname3. 2- la désagrégation complète de l'état Haïtien en 2011 après le tremblement de terre du 12 janvier.

La construction du CSG dans les années 1970 aura pour sa part entraîné l'arrivée d'environ 10.000 travailleurs Brésiliens et de leurs familles, soit un cinquième de la population totale, ce qui est loin d'être négligeable. « On estime, affirme Piantonni (2016) que 52 % des Brésiliens n’ont pas de titre de séjour, 49 % des Surinamais, et 23 % des Haïtiens. Rapporté à la population guyanaise et à toutes les nationalités, le taux de non-régularisation concerne entre 15 et 18 % de la population régionale. »

Ce tableau d'ensemble laisse entrevoir une population avec une proportion importante de jeunes, comme l'illustre la pyramides des âges. L'âge médian est de 24.5 ans en 2015 contre 41.2 en métropole (Todd, 2018 ; Nacher, 2020 ; Clarke et al. 2022).

La Guyane a une démographie dynamique marquée par un fort taux de natalité (voir Annexe). En étant de 3,5 enfants par femme, il est supérieur à celui de tous les pays sur l'ensemble du continent Américain (Leneuve-Dorilas et al. 2018). Ce taux s'est renforcé récemment : après un léger déclin au milieu des années 2010 qui aurait pu faire croire à un arrondissement à venir de la courbe du taux de natalité, il s'est de nouveau accru à partir de 2017-2018, finissant de rompre avec la problématique de la Martinique ou de la Guadeloupe confrontés à un « taux de dépendance vieillesse » supérieur à celui de la métropole (Breton, Condon et al. 2009). Le dynamisme de la natalité s'explique par la structure familiale actuelle de l'ouest Guyanais : chez les Bushinege, il n'est pas rare de voire des femmes ayant plus de six ou sept enfants (une mère suivie par le service pédiatrie dans lequel nous opérions en 2022, à l'âge de 36 ans, avait 12 enfants sans aucune grossesse gémellaire ; une autre en avait 10 à l'âge de 32 ans, après avoir perdu des jumeaux en couches). Étant la principale porte d'entrée en Guyane de l'immigration Surinamaise et Haïtienne, notamment pour les femmes fuyant leur pays, le nombre de naissances y est important. La maternité de Saint-Laurent du Maroni est la seconde plus importante maternité de france, en nombre de naissances, après celle de Mayotte.

L'accroissement de la population est d'autant plus notable si l'on prend en compte un fait, à savoir que dans une proportion plus importante encore que la métropole, la Guyane est un lieu de départ. Les jeunes la quittent pour effectuer leurs études dans les Antilles et surtout en métropole. Peu reviennent de suite. « Parmi la population en âge de travailler (15 à 64 ans), on compterait, explique Cambrézy (2015) un quart des natifs de Guyane en métropole, soit environ 22 000 personnes. L’importance de cette population est particulièrement élevée pour les classes d’âges comprises entre 18 et 34 ans qui représentent approximativement le tiers des effectifs, soit entre 9 000 et 10 000 personnes ». La métropole est aussi un objectif pour les migrants, à commencer par les Haïtiens, ou pour les Bushinenge. Des vagues de départs d'Haïtiens vers les USA (via le Panama surtout) ont lieu, régulièrement. L'élection de M.Joseph Robinette Biden à la présidence des USA en 2020 sera à l'origine d'une de ces vagues migratoire venant s'échouer, devant les caméras du monde, sous un pont frontalier enjambant le Rio Grande.

Le peuplement est contingenté par la nature de l'espace. La densité de population est très faible (à peine plus de 2 habitants par Km²) mais guère représentative de la réalité : la population se concentre sur environ 10% du territoire. Nous l'avons dit, près d'un habitant sur deux vit à Cayenne ou sur l'île de Cayenne. La plus grande commune de france, Maripasoula, s'étend sur l'équivalent de deux départements métropolitains4. Elle compterait environ 10.000 habitants. Les deux communes suivantes, par leur taille sont Régina (moins de 1000 habitants) et Camopi (moins de 2000 habitants)5

 

 

Notes :  

1Département français depuis 1946, Région depuis 1974 – les deux entités étant fusionnées en 2010. La Guyane fait partie de l'UE, mais elle est hors de l'espace Schengen (1985).

2A titre comparatif, la france métropolitaine, avec un tel taux de croissance démographique, hébergerait 400 millions d'habitants.

3Le conflit a en partie reposé sur une dimension éthnique. Dési Bouterse, dirigeant de facto du pays, va s'engager dans une lutte où les Bushinege feront globalement figure d'ennemis. Il « protégera » de ce fait les travailleurs Haïtiens présents sur le territoire. L'essentiel préférera néanmoins se joindre aux réfugiés. (voir aussi Jolivet, 2013)

4La gironde, plus grand département métropolitain, a une superficie de 9 975,6 km² (pour plus d'1.7 million d'habitants) ; la superficie de la commune de Maripasoula est de 18 360 km².

5Sources INSEE. Encore une fois, il s'agit d'estimations dans des régions frontalières caractérisée par des migrations de divers type (ponctuelles, définitives, etc.)