↪ Poukisa yé ka di « Katchimen » ? (ceci ressemble d'avantage à un éditorial...)

 

 

Sur le chemin d'un Squat, Cayenne, 2022

« Katchimen » veut tout simplement dire « quatre chemins » (et se pronconce 'katchimein'). A dire vrai, trouver un nom signifiant n'est pas simple, pour ne pas dire ennuyeux. Il fallait pour ce blog trouver quelque chose renvoyant à ma pratique, à une vision du monde. Je souhaitais bien entendu mettre du créole mais ce n'était pas simple, je maîtrise très peu (mais alors très-très peu, pour ne pas dire pas du tout) le créole.

Katchimen était une solution idoine en ce qu'elle renvoie au croisement, à la crise, au choix, à l'épokhé mais aussi au chemin qui renvoie, comme le rappelle Heidegger, à la méthode (c'est la même étymologie).

Me situant dans une conception des sciences marquée par l'empiriocriticisme d'une part et le personnalisme d'autre part, il m'a semblé que cette image de la croisée des chemins était une référence intéressante. Le personnalisme considère la personne au sens étymologique : la per-sonna, ce qui fait du son. Car après tout, les sciences humaines et sociales et la psychologie plus que toutes peut-être (avec la linguistique) s'intéressent au discours, à la parole, au dit et entre tout ça, au non-dit voir à l'interdit. La personne est donc ce qui émet du discours, du dit, mais en grèce ancienne la per-sonna était surtout un masque, au théâtre. La per-sonna, la personne est donc ce qui est derrière le masque et qui joue. Qui joue quoi ? Un rôle (rôle = rotulus, ces rouleaux de papiers sur lesquelles étaient écrites les pièces de théâtre et que l'on déroulait pour lire – à voix haute, car c'est seulement vers le milieu du moyen-âge que la lecture a commencé à systématiquement se faire à voix basse).

Nous sommes tout un chacun actrices ou acteurs sur des scènes sociales aux contraintes et contingences divergentes entre elles. Nous jouons des rôles, tenons des discours parfois contradictoires en fonction des scènes. On comprendra que l'identité ici se résume en un masque, c'est-à-dire que dans ce cas ce qui est « même » (identique) n'est pas un individu, une chose indivisible, mais un masque qui condense en un visage (au sens de Lévinas) et des faces (au sens de Goffman), une pluralité de postures, de manières, de regards.

L'histoire de tout un chacun évolue. On ne considère pas son enfance, on ne raconte pas son passé de la même façon à vingt, quarante ou soixante ans. Un même événement peut être vu sévèrement à un âge et être reconsidéré positivement à un autre. La personne est donc changement. Forcément, on comprend comme cette approche considère l'inanité des approches identitaires en politique... Le personnalisme comprend donc une éthique, elle correspond à ma conception de l'émancipation.

Dans la conception personnaliste, on n'est pas 'personne', un peu comme dans la chanson de Trust sur Jacques Mesrine – que l'on excuse cette référence un peu passée et un peu douteuse. On devient 'personne' en faisant des actes de personne. Ces actes de personne interviennent dans des phases de transition lorsque la personne est confronté à des contradictions, à la nécessité de créer un discours, une solution, lorsqu'elle doit faire face au réel, lorsque des chemins divergent, s'opposent, se croisent...

Pour finir, « passer par quatre chemins », au fond, c'est rentrer dans le détail de façon alambiquée – l'expression est dépréciative. Au contraire, il me semble que le savoir encyclopédique des scientifiques d'antan n'a plus lieu d'être mais au moins que l'on laisse à la science, à ceux qui la font et à ceux qui s'y intéresse, la possibilité de voyager sur des thèmes de façon exhaustives, pour ne pas dire compulsive ou obsessionnelle. Que le chemin de l'étude soit long, multiple et contradictoire, voilà à l'époque de la réification et du fonctionnalisme ce que l'on souhaite : prendre le temps de passer par quatre chemins.