↪ Pourquoi ce blog ? (ceci n'est pas un éditorial...)
L'idée de cet article... est de détailler l'idée de ce blog.
Qu'est-ce qu'une idée ? pourrait-on se dire. La question n'est pas banale, mais à parler d'une idée qui en présente une autre, il est nécessaire de s'arrêter quelques lignes à ce sujet.
Le sujet, lorsque l'on parle de sujet du texte, relève paradoxalement de l'objet du texte. Pour un psychologue, et le point de vue sur ce blog sera celui d'un psychologue puisque le sujet qui parle ici, est psychologue, parler de sujet et d'objet tient du réflexe professionnel et les confondre relève littéralement de la faute professionnelle.
L'objet de ce blog, nous ne le confondrons pas avec le sujet. L'objet, c'est le texte, plutôt le discours, est celui d'un psychologue présent en Guyane depuis deux ans ou peu s'en faut au moment où les « papiers » de ce blog seront publiés. Le sujet va se confondre avec les Sujets, le mieux serait de dire que le sujet des textes va en bonne partie se superposer aux Sujets. Ici, « Sujet » avec un grand « S » désigne plus exactement les personnes auprès desquelles j'ai eu la chance d'intervenir dans un cadre très particulier qui sera lui aussi un des Sujets abordé.
Ce cadre, c'est celui offert par un territoire spécifique (la Guyane), par des zones d'interventions spécifiques (les bidonvilles de Cayenne, dits « Squats »), dans une institution en marge des pratiques habituelles (le domicile, en HAD) auprès de publics confrontés à une institution majeur (l'institution hospitalière).
La modalité de rencontre, recouvrant en grande partie la Demande, qui sera aussi un Sujet abordé et détaillé, a été spécifique puisque l'institution hospitalière considère des « patients », or nous intervenons non pas auprès de ceux-ci mais de leurs proches. En effet, nous sommes psychologue en pédiatrie et les patients du service sont les nourrissons. N'ayant pas accès à leurs « idées » et au lien du Sujet avec elles, notre travail porte auprès des proches, en quasi totalité, les familles et presque exclusivement, les mères de ces nourrissons.
Nous avons détaillé le sujet de ce blog, mais l'objet de la tenue du discours n'a pas encore été évoqué. Précisons-le donc : la pratique qui est la mienne ouvre sur des horizons particuliers. On retrouve à la fois des questions sociales (la migration, des « ethnies » en mutation), des questions pratiques (intervenir dans un contexte singulier), des questions psychopathologiques (la maternité lorsqu'elle sort des attentes inhérentes à la normalité) et surtout, la rencontre de ces trois dimensions, sans compter bien entendu la dimension anthropologique et interculturelle. Si JE, en tant que sujet, souhaitais rester pertinent et toujours accroître mes capacités de réponse auprès d'un public que je me dois de qualifier d'extrêmement attachant (je ne me perds pas dans une considération personnelle, je livre ici un point de vue qui est le mien, un affect, qui est un des motifs de l'action auprès d'un public, que l'on se réfère par exemple à l'introduction des naufragés ), il me fallait établir une réflexion, aller dans le miroir et même de l'autre côté. Comment réfléchir sans fixer sur un papier des éléments ? Il fallait fixer les idées, les tester, les confronter.
Nous terminons donc par là où nous avons commencé : qu'est-ce qu'une idée ?
Au risque (c'est le risque de toute métaphore mais le langage n'est que métaphore, déplacement, c'est aussi ce qui fait qu'il est risqué) au risque donc de manquer la cible, je comparerai le concept d'idée à celui de société. Prenons cet extrait d'un court texte d'Adorno intitulé « Société » :
Au regard de sa détermination fonctionnelle, le concept de société ne peut ni être saisi immédiatement, ni vérifié rigoureusement comme les lois des sciences de la nature. C’est pourquoi les courants positivistes de la sociologie voudraient le bannir de la science comme vestige philosophique. Un tel réalisme est irréaliste. Car, tandis que la société ne se laisse ni abstraire de faits isolés, ni objectiver comme un fait, il n’y a pas de fait social qui ne soit déterminé par la société. La société apparaît dans les situations sociales factuelles. Des conflits typiques, tels que ceux entre supérieurs et dépendants, ne constituent pas un ultime irréductible sur le lieu où ils se déroulent. Ils sont bien plutôt les masques d'antagonismes porteurs. On ne peut subsumer les conflits singuliers à ceux-ci en tant que quelque chose de plus général. Pour ce qui est de leur processus et de leurs lois, ils produisent les conflits ici et maintenant.
Faisons un exercice, gardons ce texte mais remplaçons Société par idée, sociologie par psychologie plus quelques petites modifications et observons :
Au regard de sa détermination fonctionnelle, le concept d'idée ne peut ni être saisi immédiatement, ni vérifié rigoureusement comme les lois des sciences de la nature. C’est pourquoi les courants positivistes de la psychologie voudraient le bannir de la science comme vestige philosophique. Un tel réalisme est irréaliste. Car, tandis que l'idée ne se laisse ni abstraire de faits isolés, ni objectiver comme un fait, il n’y a pas de fait psycho-social qui ne soit déterminé par l'Idée. L'Idée apparaît dans les situations psycho-sociales factuelles. Des conflits typiques, tels que ceux entre dominants et dominés, ne constituent pas un ultime irréductible sur le lieu où ils se déroulent. Ils sont bien plutôt les masques d'antagonismes porteurs. On ne peut subsumer les conflits singuliers à ceux-ci en tant que quelque chose de plus général. Pour ce qui est de leur processus et de leurs lois, ils produisent les conflits ici et maintenant.
Est d'emblée exclue que l'idée est « ce qui est devant », comme le définissait Hume. L'idée ici relève non pas du « poser », de ce qui est là, de l'objet. L'idée a elle-même quelque chose qui relève de l'ordre de l'objet en ce qu'elle concerne à chaque fois une catégorie de concepts. Elle concerne des concepts mais elle concerne aussi, en même temps, la personne qui possède cette idée – et se trouve possédé par elle. Or l'idée n'émerge pas du vide, du rien, ne tombe pas d'en haut telle la pluie. L'idée, si l'on se place dans la perspective d'Adorno, relève de ce qui est une confrontation. On pourrait cette fois se référer aux travaux de Mugny et Carrugati qui en 1985 déterminaient qu'une représentation sociale émerge au sein de groupes qui sont confrontés à une problématique collective commune. Chez les psychologues, pour le psychologue, la confrontation a surtout lieu avec ce que l'on nomme « le Réel ». Le Réel est ce qui résiste. Le Réel est une abstraction jusqu'à ce qu'il vienne frapper la personne et l'Oblige, la rende sujette au sens « d'assujettie », la soumette à la question et par delà, à répondre. La confrontation au Réel est peut-être singulière mais c'est le monde en son ensemble qui vient questionner la personne. L'Idée, c'est la réponse de la personne au questionnement auquel le soumet le monde, l'Idée est la rencontre de la subjectivité et du monde, de l'Autre, à travers les autres.
Ce blog et les papiers qui y seront publiées ont donc pour « Idée » de détailler les réponses qui ont été les miennes. Car les patients passent dans l'institution, mais la responsabilité, le fait de répondre à cette confrontation au réel qui a été la mienne lorsqu'elle était face à la leur ne doit selon moi pas passer, mais rester, au yeux des autres, pour que le regard de la science puisse se déterminer et juger et enfin témoigner de ces expériences qui ont été déposées juste là, devant, au psychologue que j'ai été et à l'idée que je me suis faite du soin.
Bibliographie :
Adorno, T. (2001). Société. Tumultes, 17-18, 363-373. https://doi.org/10.3917/tumu.017.0363
Christias, P. (2001). Idée, sens, imaginaire. Sociétés, n° 74, 37-41 https://doi.org/10.3917/soc.074.0037
Declerck, P. (2001). Les naufragés. Avec les clochards de Paris. Plon.
Deshays, C. (2008). Points de vues philosophiques sur la vérité. Gestalt, 34, 47-61. https://doi.org/10.3917/gest.034.0047
Lepaludier, L. (2004). Chapitre 5. L’objet et le sujet. In L'objet et le récit de fiction. Presses universitaires de Rennes. doi :10.4000/books.pur.31953
Mugny, G. et Carrugati, F. (1985). L'intelligence au pluriel : les représentations sociales de l'intelligence et de son développement. Ed. Delval.