⁍ La Guyane : spécificité du terrain, décors et horizon 4/4 : aspects sanitaires

 

Aspects institutionnels du soin

Les services de santé en Guyane sont marqués par un aspect inédit : l'étendue du territoire. Équivalente à la surface d'un sixième de la métropole, la région est marquée par des voix de communication singulières. « Un cinquième de la population vit à plus de trente minutes d’un service d’urgence. » (Théry, 2017). « L’offre de soins hospitalière en Guyane est inégalement répartie sur le territoire. Elle est disponible uniquement dans trois communes sur 22 et assurée par six hôpitaux dont trois centres hospitaliers et trois hôpitaux privés » (Clarke et al. 2022) situés sur ce que l'IGAS dans son rapport de 2020 nomme « la Guyane routière » (le CHOG  à Saint-Laurent, le CHK à Kourou et le CHC, ancien CHAR à Cayenne), les prises en soin lourdes y sont directement emmenés parfois par hélicoptère si elles concernent des personnes des communes. Il faut compter deux à trois jours pour se rendre de trois-sauts à la maternité de Cayenne, l'essentiel du trajet s'effectuant en pirogue. Des associations offrent aux familles, en cas de nécessité, des appartements thérapeutiques mais il en retourne d'extrême nécessité, dans des cas spécifiques.

« La Guyane compte moitié moins de médecins généralistes par 1 000 habitants que la métropole et près de 4 fois moins pour les médecins spécialistes. (Théry, 2017). « les capacités d’hospitalisation complète en médecine, chirurgie et gynécologie-obstétrique (MCO) est de 722 lits en 2019, et 85 places sont destinées à l’hospitalisation partielle en MCO. En 2020, le taux de recours aux séjours hospitaliers en chirurgie en Guyane est le plus faible parmi les régions de France (hors Mayotte). Ce taux est près de sept fois inférieur à celui de la France hexagonale (163,2) et inférieur aux taux observés dans les autres DROM » (Clarke et al. 2022). Certaines filières sont quasi inexistantes, dont la psychiatrie (Clarke et al. 2022) ; les filières délaissées étant les moins bien pourvue en métropole, un délaissement qui est exacerbé dans la région et oblige à des évacuations sanitaires vers la Guadeloupe, la Martinique voir la métropole (Nasher, 2020).

Des pathologies spécifiques

Des paragraphes précédents, on ne peut que s'attendre à une spécificité locale des aspects sanitaires. Dans un rapport de 2016, Epelboin et al. Qualifient la Guyane de « Dernier bastion de la médecine tropicale Française ». Les deux maladies tropicales les plus connues et redoutés sont le paludisme et la fièvre jaune. Epelboin et al. (2016) rapportent un taux de 60 cas par an pour 100.000 habitants pour le paludisme (autant que la leishmaniose), la fièvre jaune semble toujours être présente mais ne ferait plus aucune victime2 – de même que la lèpre (15 cas par an chez les garimperos). Ces atteintes ne sont plus considérées comme étant un problème de santé publique ; la dengue au contraire revient par épidémies, touchant à chaque fois plus de 15.000 personnes soit plus de 5% de la population. Le chikungunya et le virus zika impactent eux aussi bien plus la population du fait de nécessiter «  une prise en charge médicale importante » (Théry, 2017). Les conséquences sur les femmes enceintes et leurs fœtus (microcéphalies, etc.) sont majeurs.

Deux autres maladies virales frappent bien plus la population : le VIH et le HTLV, nommé parfois « SIDA des noirs » : « ce rétrovirus oncogène est fortement endémique et les leucémies/lymphomes T associés sont relativement fréquents. Les Noirs Marrons ont vécu en autarcie le long du fleuve Maroni pendant près de deux siècles. Leur sédentarisation, « récente » sur la rive française ainsi qu’un flux important d’immigrants, initié dans les années 1990 par une guerre civile au Surinam, expliquent le faible niveau d’éducation de cette population » (Tortevoye et. al. 2007).

En ce qui concerne le VIH, par rapport à la France hexagonale, analysent Nacher et al. (2020), l’épidémie en Guyane est particulière de par ses caractéristiques et son intensité.



Source INSEE


Année

Taux de mortalité - Sida et infections par le VIH -

Guyane

Taux de mortalité - Sida et infections par le VIH -France métropolitaine hors île de france

2017

5.1

0.3

2016

4.1

0.4

2015

4.5

0.5

2014

7.4

0.4

2013

9.3

0.6

2012

5.8

0.5

2011

6.3

0.5

2010

6.9

0.5

2009

9.7

0.7

2008

8.1

0.8

« Le mode de transmission est essentiellement hétérosexuel » continuent Nacher et al. (2020) « avec, depuis toujours, autant de femmes que d’hommes infectés voire, à Saint-Laurent- du-Maroni, plus de femmes que d’hommes. Les principaux moteurs de l’épidémie seraient les rapports sexuels transactionnels, le multipartenariat simultané et, semble-t-il, la consommation de crack, car elle est liée à d’importantes prises de risques sexuels et est souvent associée à la prostitution. Les enquêtes en population générale et les enquêtes en population spécifique (migrants, usagers de crack, hommes ayant des rapports avec des hommes) montrent l’importance des prises de risque, du multipartenariat et des rapports transactionnels (malgré un taux d’utilisation déclarée des préservatifs très élevé). » Une étude des années 2000 montrait pourtant que le nombre de dépistage par homme était plus élevé qu'en métropole mais au final peu corrélé aux risques encourus (Halfen, et al., 2003). Nous traduirions ainsi cette donnée : les hommes se sachant contaminés puisque leurs compagnes ont été détectés comme étant infectés, ne vont pas se faire dépister.

En effet, ces MST sont dans bon nombre de cas détectés chez les femmes enceinte au moment des analyses de sang consécutives à la découverte de la grossesse (Halfen et al. 2003). Elles touchent à l'intime et la contraception n'étant pas soutenu par une politique éducative et sociale conséquente (et peut-être du fait de l'importance de la religion), les risques sont d'autant plus élevés. Une de nos patiente, Madame A a ainsi découvert que son compagnon avait le VIH alors que celui était détenu en centre de rétention. L'avocat de monsieur lui demandera d'apporter un traitement que ce compagnon cachait chez elle, à son insu. Elle s'informera sur le médicament et conclura à la pathologie ; questionné par Madame A, ce compagnon refusera toujours d'admettre sa séropositivité.

Une jeune mère de 20 ans, Madame B, apprendra alors qu'elle venait de découvrir sa grossesse qu'elle avait le HTLV-1 et 2. Son compagnon de 16 ans (contre lequel elle avait déjà porté plainte pour coups et blessures) refusait de se faire tester.

Questionnant une troisième patiente quant à son refus d'allaiter son 4ème enfant, cette dame de moins de 30 ans répondra qu'elle avait appris sa pathologie au cours de sa première grossesse et que son mari ne s'était jamais fait testé.

Notons que les empoisonnements au plomb ou au mercure, dues en grande partie aux activités d'orpaillage, ont aussi un impact sur les populations, à commencer par celles des femmes enceintes (Bernard et Parez, 2020)

L'obésité est une autre pathologie endémique. Un document interne à notre structure rédigé en 2017 évoque ainsi : « Les derniers chiffres retrouvés sont : 34% de surpoids et 18% d’obèses en Guyane contre respectivement 29% et 12% pour la métropole (Baromètre santé DOM 2014, INPES). » L'INSEE souligne le rôle de la précarité dans l'obésité, le poids du lobby sucrier est aussi marqué puisque la teneur en sucre des boissons est plus forte en Guyane, y compris pour les sodas dont on penserait les recettes standardisées. Un article du Parisien du 23 mars 2023 questionnait ainsi ses lecteurs : « Saviez-vous qu'en Guyane le Fanta à l'orange est 48,59 % plus sucré qu'à Paris? Qu'un Sprite acheté à Mayotte contient 26,52 % de sucre de plus qu'en métropole? Et qu'un yaourt Danone à la fraise vendu à la Martinique en a 50,77 % de plus? Incroyable mais vrai. Dans les DOM-TOM, certains aliments, notamment les sodas et les produits laitiers, sont beaucoup plus sucrés que dans l'Hexagone3. »

Les conséquences sont attendues, en terme de diabète notamment, comme l'explique le même document rédigé au sein du groupe où nous intervenons : « La prévalence du diabète dans les départements et territoires d’outre-mer (Réunion, Antilles, Guyane) est beaucoup plus élevée qu’en France métropolitaine (en 2009, elle atteignait 8,8 % à La Réunion, 8,1 % en Guadeloupe, 7,4 % en Martinique et 7,3 % en Guyane, versus ~5 % chez les adultes en France métropolitaine) [Bonaldi et al, SFDStrasbourg 2009]. La population diabétique dans les départements d’outre-mer y est globalement plus jeune, plus féminine, économiquement moins favorisée et avec un moins bon suivi et contrôle glycémique » néanmoins en 2022 Clarke et al. Soulignaient que diabète, la principale pathologie chez les personnes âgées. Chez les femmes parturientes, le diabète gestationnel est une donnée majeur.

Notons enfin que la drépanocytose est répandue dans les population antillaises en général et Bushinenge en particulier.

 

 

Notes : 

1Nous nous sentons obligés d'attirer l'attention sur le fait que ces estimations sont théoriques. Le décès d'un nourrisson qui venait de sortir de HAD dans les bras de son père, à Macouria, alors que l'ambulance a mis plus de deux heures à franchir la quinzaine de kilomètre pour s'en venir le chercher, n'est qu'un exemple parmi d'autres nous incitant à souligner la relativité de ce diagramme.

2Selon l'ARS, la couverture vaccinale contre la fièvre jaune, en Guyane, serait de 95 % - les non-vaccinés venant de pays limitrophes. Il n'y a pas de traitement contre la fièvre jaune, seul le vaccin permet de la combattre. https://www.pasteur-cayenne.fr/lip-guyane-confirme-une-nouvelle-infection-par-la-fievre-jaune/ consulté le 01/03/2023

3Surdose de sucre dans les DOM-TOM, le Parisien, 23 mars 2023, consulté en ligne le 05/04/2023 https://www.leparisien.fr/societe/sante/surdose-de-sucre-dans-les-dom-tom-27-03-2013-2675911.php

Voir aussi en Annexe un tableau issu du rapport Lurel, 2011