❑ L'action du psychologue en HAD pédiatrique

 

Le format du blog, mettant en ligne des articles, empêche de détailler certaines informations. Peut-être n'est-ce pas si important néanmoins une partie de notre contexte d'intervention ne peut de ce fait être décrit pour des raisons éthiques et déontologiques évidentes. De même, certaines données seront rendues floues. Nous dresserons dans les lignes suivantes un court portrait du service où nous intervenons avant d'élaborer autour des spécificités de la coopération entre psychologues et soignants.


1-Patientèle

Le servicedans lequel nous intervenons, en 2022, a accueilli plus de 250 séjours pour environ 230 patients. L'essentiel de ces patients sont accueillis du fait d'une prématurité mineure (moins de 37 SA) importante ou majeur (à la limite des 24 SA). Une autre raison de l'accueil sont des surveillances suite à des RCIU (retards de croissance intra-utérins sévères) ou des naissances difficiles (étouffement, suspicion de pathologie...). Dans tous ces cas, un soutien à la parentalité et presque systématiquement un soutien à l'allaitement est fourni.

Plus rares sont les suivis d'enfants plus âgés. C'est le cas pour des pathologies de type diabète précoce, trisomie 21, malformations multiples, handicaps lourds et suivis post-opératoires. Certains de ces suivis, enfin, relèvent du soin palliatif et se traduisent par de l'accompagnement jusqu'au décès. Des suivis sont effectués jusqu'à l'âge de 14, 15 ou 16 ans. C'est parfois l'âge de certains parents...

Les patients sont donc des nourrissons, ils sont l'objet de toutes les attentions mais non de toutes les conversations puisque les échanges sont essentiellement réalisés avec et sur les familles. De fait, les parents des nourrissons occupent dans une grande partie une place ambigüe de patient. C'est dans cette ambivalence que né l'écart sur lequel nous avons appuyé  [voir ci-dessous] sur un soin idéalisé et le réel de la situation déterminée par les contingences matérielles, sociales et psychosociales (au sein desquelles nous plaçons les contingences linguistiques).

De 30 à 80% des patients et de leurs familles vivent dans des squats ou en situation de précarité, 50% « au mieux » est en situation illégale mais la proportion est souvent plus importante. Nous l'avons dit, bon nombre est dans l'insécurité alimentaire, sociale et affective. Nous verrons que le taux de dépression puerpérale est important et nous insistons sur la difficulté émotionnelle éprouvée par les soignants, surtout les infirmiers, au quotidien.

2-Psychologue en pédiatrie

Les attentes envers le psychologue, dans notre cas, n'ont pas été formellement énoncées lors de notre arrivée ce qui est à la fois une preuve de l'incapacité de la direction à assurer l'encadrement (le cadre des psychologue était alors la direction de la HAD) et à la fois un choix assumé de la part de l'encadrement du service de laisser le psychologue s'approprier comme il l'entendait ses missions.

La mission telle que nous avons décidé de la réaliser (nous reviendrons plus loin sur la posture) consiste à assurer pour chaque famille un bilan d'entrée au cours d'au moins un entretien. De fait, sur l'année 2022, nous avons pu rencontrer 80% des patients. Parmi les 20% qui n'ont pas reçu de « VAD psychologue » figurent les soins palliatifs pris en soin par l'EMSP (Équipe Mobile de Soins Palliatifs du CHAR), les familles présentes durant nos congés, les familles présentes en Guyane ou sur Cayenne et suivies en HAD pour leurs congés et 2 uniques refus de passage n'ayant aboutis à aucun entretien.

Suite à ce premier entretien bilan (voir plus loin la partie recueil de données-grille d'entretien), plusieurs entretiens peuvent être effectués dans le cas de suivis. Nous voyons 30% des familles plus de trois fois, soit pour évaluer une situation qui aurait pu apparaître comme inquiétante sans qu'un suivit ait été motivé ou accepté à l'issue de l'entretien bilan, soit parce que la situation a négativement évoluée, ou encore suite à des remarques des soignants concernant une situation apparaissant problématique.

Nous avons choisi de nous investir dans un échange constant avec les soignants en plus des échanges en STAFF. Notons que certains personnels, de surcroît, maîtrisent le Créole, le Portugais ou l'Espagnol, ce qui invite à des VAD conjointes.

3-logiques d'action des soignants, logiques d'action des psychologues

Le psychologue au sein de la HAD agit avec des soignants, principalement des infirmières, sages-femmes, aides soignants, médecins, diététiciens et kinésithérapeutes. Les travailleurs sociaux (ASS et TISF) sont avec lui les seuls 'non-médicaux' à œuvrer sur le terrain en pédiatrie1. Les problématiques sont donc à peut près celles de tout psychologue travaillant en institution de soin.

Les professions médicales ont en général une logique d'action inverse à celle du psychologue clinicien ou social-clinicien. Pour l'infirmier, la maladie, essentiellement d'origine organique, doit être réduite. Le patient était à l'origine, dans sa représentation, en bonne santé ; un événement l'a rendu malade, l'objectif du soin est donc de traiter ce que Pinel nomme la « mésinscription », c'est-à-dire de restaurer « la santé » assimilable à un ordre symbolique antérieur faisant office de norme (Pinel et Gaillard, 2011).

«La santé s'offre comme une représentation plénière et renvoyant à elle-même, d'un corps d'assomption imaginaire, sans manque ni malaise dans l'identification, que le discours de la médecine conforte. La guérison est prise dans le sens pascalien d'un pari. En ce sens, la guérison c'est de la croyance qui objecte à la saisie de cette autre figuration du corps : celle de la scorie, du partiel qui jamais n'aspire à sa synthèse apaisée, cette autre figuration du corps que le fantsasme nevrotique ligote au sujet. L'idéologie de ce pari serait de forcer la retrouvaille avec un Originaire intact du corps. » (Douville, 2014, p.13)

Au delà du fait que le patient, avant d'être décrété malade, n'était pas nécessairement en bonne santé2, le psychologue tend au contraire à considérer que la « maladie » psychique (ou l'impact psychique d'un trouble physique) est un état 'normal' d'une crise identitaire, sous-jacente, qui souvent ne demandait qu'à exploser au grand jour. La maladie devient une épokhé, une « potentialité en germes » suscité par une transition. Une maladie, un événement telle qu'une grossesse difficile vient percuter ou rebondir sur des éléments biographiques antérieurs devenant de ce fait problématiques.

« Le corps, une fois qu'il est tombé malade, peut venir, pour un sujet, à la place de l'objet perdu. La maladie est alors une condition pour le sujet de pouvoir à nouveau être divisé » (Douville, 2014, p.13)

L'objectif (nous parlons plutôt « d'horizon ») du psychologue dans sa démarche n'est donc pas tant le soin que la mise en réflexion d'un ordre antérieur pour amener la « problématique/pathologie psychique » à prendre une place nouvelle. Au minimum, le psychologue essaie-t-il de soutenir la conscientisation chez le sujet des changements susceptibles d'être induits par ce trouble.

Cette tendance s'inverse dans le soin palliatif. Là, l'infirmier ou le soignant a plutôt tendance a essayer de faire accepter la mort à la famille et au sujet lui-même. Le psychologue, en revanche, va travailler avec les proches à faire en sorte que l'état antérieur revienne, c'est-à-dire que la vie continue après la mort.

« A contrario l'écoute de personnes en grande mélancolie nous enseigne qu'il n'est pire souffrance que le fait de ressentir l'absence de souffrance, rien n'affecte plus que de se savoir désaffecté. La maladie exacerbe la différence d'avec soi-même, en ce sens elle est refuge contre l'asthénie mélancolique. Contrant le naufrage dans l'indifférencié elle est accent du sujet. Le « guérir » doit s'en trouver questionné. » (Douville, 2014, p.13)

Fait significatif de l'importance attachée par les soignants au lien symbolique qu'ils entretiennent avec les patients, la fréquente déception exprimée par nos collègues lorsque nous leur signifions des difficultés au sein de la famille d'un patient. Cette injonction qui « prévient » (au sens littéral de venir-avant) nos bilans d'entrée n'est pas un simple trait d'humour, un clin d’œil ou un simple jeu3  : « ne nous dit pas que chez [telle famille] non plus ça ne va pas... ils ont l'air d'aller bien pourtant ! » Cette phrase, nous l'avons entendu un nombre incalculable de fois.

La déception de certains collègues lorsque nous annonçons des « soucis » (c'est-à-dire, là encore au sens littéral, la nécessité d'un 'soin' et d'un soutien concernant une problématique psycho-sociale majeure) est réelle. Il est assez difficile pour le soignant d'envisager que la pathologie physique se double d'une dimension psychique et/ou psychosociale. C'est admettre que son action a des limites et donc bousculer le sens placé dans le métier. De là à dire qu'en effectuant son métier le psychologue met en souffrance le soignant il n'y a qu'un pas, un simple pas, franchis quotidiennement. Disons-le de suite, au sein de certains services, pour certains soignants, il ne s'agit pas d'un simple pas, mais de franchir la crique-Rubicon4.

L'inverse existe aussi : il est demandé au psychologue d'agir dans des situation émotionnellement difficiles pour les soignants, lorsqu'ils se trouvent confrontés à des représentation qu'ils sont littéralement en peine a appréhender, sans s’apercevoir alors qu'ils confondent leurs difficultés d'appréhension et celles effectivement vécues par les patients.

Notons que la plainte des soignants à chaque fois que nos interventions amenaient sur la scène du soin un conflit psychique aurait pu être autre. Les infirmiers de terrain se trouvent en effet fréquemment être dans une situation contradictoire impactant le psychologue : à la fois centrés sur le soin, travailler avec la parole du patient est pour eux difficile. Ils expriment parfois avec plus ou moins de colère ne pas savoir que faire de cette parole, de ces plaintes, nous l'avons dit. Or justement le soin, à fortiori le soin palliatif suppose l'importance du contact (Mino, 2016). Néanmoins les contraintes financières ne reconnaissent pas ce temps d'échange et les infirmiers qui ailleurs disent ne savoir que faire de la parole expriment ici une plainte en apparence contradictoire : ils n'ont pas le temps d'échanger. Notons que cete contradiction nous a paru atténuée en HAD, mais il nous semblait intéressant de la souligner.

1Dans les services prenant en soin « les adultes » (obstétriques, soins généraux et soins palliatifs) interviennent aussi une art-thérapeute nouvellement arrivée, une « Psycho-socio-ethéticienne » (sic.) et des professeurs de sport adaptés.

2La « mauvaise santé » se décrète en deux temps cardinaux : 1-la sensation de mé-forme du patient et 2- la validation (performative) du médecin qui pose un diagnostic. La logique peut aussi être inverse : 1-diagnostic du médecin (lors d'une visite de contrôle par exemple et 2-appropriation du diagnostic par le patient.

Tant que le patient n'est pas décrété malade, même s'il ressent une douleur objective, son cas relève de la plainte et si celle-ci est exprimée avec trop de force, de la psychiatrie... Le père d'un patient nous exprimait son mécontentement d'avoir vu sa douleur seulement examinée (sans toucher) par des IRM puis traité par des anti-douleurs à base d'opioïdes, avant de se voir proposer des RDV chez un psychiatre. Il s'agissait pourtant d'un ancien sportif de haut niveau, seul un médecin du sport aura pris, dira-t-il, sa douleur au sérieux.

3Même s'il nous semble qu'il s'agit pourtant bel et bien aussi d'un jeu au sens entendu par Buravoy.

4En Guyane, les rivières sont des « criques » et reçoivent ce suffixe : par exemple la « crique gabrielle » (une des plus réputée) ou la « Crique-Deux-Flots » qui compte au nombre des cours-d'eau entourant littéralement Cayenne, d'où le toponyme « d'Île de Cayenne ». Dans le langage courant, il est dit « je vais à la crique » pour signifier que l'on va se baigner dans une rivière.