❑ L'Objet du soin en HAD
Cet article vise à présenter le contexte du soin en HAD. Peu d'articles scientifiques ont abordé ce thème, ce qui est assez compréhensible car après tout, la pratique demeure assez peu connue et répandue. Nous détaillerons donc l'enjeu et particularité du soin en HAD.
1.L'Hospitalisation à Domicile : présentation et enjeux
L'objet de la HAD est de fournir un soin équivalent aux actes effectués au sein d'un hôpital ou d'une clinique avec une spécificité : les soins sont conférés au domicile du patient. Dès les années 1960 existent des services de HAD psychiatrique comme le rappel Jean Furtos (2011). « Les décrets du 2 octobre 1992, assis sur la loi hospitalière de 1991, donnent une définition de l'HAD et introduisent plusieurs nouveautés » explique Dubost (2006) avant de citer cette loi : « les structures dites d'hospitalisation à domicile permettent d'assurer au domicile des malades, pour une période limitée mais révisable en fonction de son état de santé, des soins médicaux et paramédicaux continus et nécessairement coordonnés, et d'une densité suffisante ».
Plusieurs enjeux déterminent l'existence de ce type de structure :
-une logique de désinstitutionnalisation 1: Cette logique s'inscrit elle-même à la croisée de plusieurs évolutions sociales. D'une part, il s'avère que les institutions de soins sont génératrices de pathologies (dimension iatrogène des institutions de soin). Les murs de l'hôpital génèrent aussi un sentiment de mal être, de solitude, assez prégnant dans le discours des patients (des parents des patients, pour être exacte) du service pédiatrie. Le retour à domicile est vécu comme une sorte de libération. La désinstitutionnalisation vise à réduire ces effets ou externalités négatives en réorientant le soin non plus seulement sur le corps mais sur une personne ayant une place dans la société.
-une logique d'adaptation du soin (le « virage ambulatoire », voir pour plus de détail la thèse de Baly, 2019) : de fait, il est impossible de réaliser des opérations chirurgicales à domicile, l'existence d'hôpitaux accueillant les patients en les murs est nécessaire. Néanmoins la prise en compte de la personne passe aussi par sa contextualisation et une fois passé un délai d'observation en les murs, le rétablissement gagne à s'effectuer au domicile où le patient finit de se rétablir auprès des siens. Le soin est de façon croissante envisagé dans une logique « d'accompagnement », l'hôpital se recentre sur son rôle de lieu technique de soins et de diagnostic et le malade doit poursuivre ses soins dans d'autres lieux (Dubost, 2006).
-la fin de vie est l'enjeu d'un débat spécifique, à fortiori en france. Un seul point semble faire consensus : la fin de vie gagne à être effectuée au domicile (Mino, 2016). C'est le cas pour les adultes bien entendu mais aussi, en pédiatrie, nous le verrons plus loin, chez les enfants2.
-une logique de tarification du soin : le développement des équipes mobiles sises au sein des hôpitaux montre qu'une adaptation du soin est en cours à travers son extension au domicile des patients. Il ne faudrait pas non plus négliger le fait que la RGPP et la privatisation (au final un transfert des prises en soin de l'hôpital public vers des structures à but lucratifs, voir les rapports de la DREES sur le nombre de lit et leur transfert vers la HAD, Boisguérin, Delaporte et Vacher, 2021 ; ainsi que l'historique de la 'substitution' (sic) de la HAD aux services de soin intra-muros, Mauro, 2017) par le biais de la T2A, la Tarification A l'Acte, entraîne la fermeture de lits dans une population pourtant en constante augmentation. Le patient (étymologiquement « celui qui est atteint de passion, de souffrance ») devient ainsi un usager contractant une relation de service avec le soignant (Douville, 2014, p.16).
Au sujet de la prise en soin psychiatrique par des équipes mobiles, Pastour et Kannas (2019) évoquent en des termes que nous jugeons extensibles à l'ensemble du système médical des « politiques publiques agressives de fermeture pour des raisons d’économie budgétaire »3. Les structures de HAD servent donc à 'encaisser' la fermeture des lits et à prendre en charge les patients refoulés (parfois littéralement) de l'hôpital, lors des pics épidémiques par exemple comme ça a été le cas lors de l'épidémie de bronchiolite fin 2022.
Notons qu'il serait à tous le moins rapide sinon simpliste de voir dans ce constat l'issue de la seule logique capitaliste poussée à son extrême. Après tout cette logique entre en résonance pour ne pas dire en fusion avec ce qu'il faut bien qualifié d'idéologie occidentale de la médecine (Douville, 2014, Illitch, 2018). « Toutes les constructions sociales, politiques et culturelle de la 'santé' et de la 'santé mentale', sont donc liées aux contextes historiques, sociaux et économiques et elles reflètent ces contextes autant qu'elles en dépendent » (Douville, 2014, p.17)
2-fournir un soin multidimensionnel
Le soin en HAD est à différencier de l'action de professionnels libéraux. La HAD n'offre pas (ou du moins, n'est pas sensée offrir) un simple cumul de soins par différents professionnels tels les infirmiers, kinésithérapeutes ou professeurs de sport adaptés qui sont pourtant des professions où le soin à domicile est une dimension habituelle du métier4. Le fonctionnement de la HAD est calqué sur celui de l'hôpital. Son action, en principe, est conjointe à celle de l'hôpital afin de maintenir une logique de soin, un « parcours » de soin. La HAD, c'est l'hôpital au domicile avec le maintient d'une astreinte à toute heure (équivalent du 'bouton rouge' dans la chambre d'un patient en les murs), des « staffs » pluridisciplinaires, une prise en charge administrative des rendez-vous médicaux afférents aux soins, la fourniture des médicaments, de la nourriture dans de nombreux cas et des transports si nécessaire.
L'infirmier libérale qui agit au domicile n'est pas nécessairement au fait de l'action des autres professionnels. En HAD, il va travailler de concert et se coordonner étroitement avec les diététiciens, kinés, médecins et le psychologue.
Le soin de HAD est donc un soin équivalent à celui de l'hôpital, mais implique de fait certaines spécificités.
3-Spécificités du soin en HAD : Un soin adapté au contexte du patient ?
La première spécificité du soin est bien entendu la prise en soin du patient dans son contexte de vie, à son domicile.
La dimension institutionnelle du soin, c'est-à-dire l'extraction hors de son contexte de vie du patient a été pensée en détail par la psychologie clinique. Il est possible d'avancer que la psychologie clinique a rivé son horizon réflexif à celui de l'institution quand il s'agit d'agir ou bien de s'en écarter. La personne en institution n'offre pas la même « responsabilité » que lorsqu'elle est hors de l'institution, hors les murs. Le professionnel qui a œuvré en ITEP ou IME sait comme les enfants ne présentent pas le même visage dès lors qu'il franchissent la limite de l'institution. Cependant, cette réflexion ne paraît pas avoir traversé avec la même force l'institution hospitalière. Encore une fois, la dimension pathologique du soin, l'effet iatrogène du soin est la grande impensée de la médecine occidentale surtout centrée sur la question de la douleur, qui doit être réduite (Illitch, 2019 ; Douville, 2014). Une alternative consiste en la prise en compte de la personne dans sa globalité ce qui ne signifie pas que la désinstitutionnalisation soit la seule méthode, au moins parce qu'elle est en premier lieu déterminée, nous l'avons dit, par la dimension financière plus que par la prise en compte de la spécificité du patient. Kannas et Pastour rappellent que les équipes mobiles existaient jusque dans les années 1990 avant d'être désactivées pour être littéralement « ressuscités » au milieu des années 2000, avec la privatisation des soins. « Pourquoi cet abandon ? » Demande Furtos (2011) « Pour la raison qu’initialement cette technique servait à tout faire, comme une sorte de panacée qui devait remplacer l’hospitalisation complète et qui, de plus, constituait l’unité de paiement spécifique de base par la Sécurité sociale qui avait promu cette expérimentation ; de ce point de vue, tout devait être « HAD » pour que le budget soit bouclé ».
En attendant, la prise en soin adapté au domicile hors de la contrainte institutionnelle ne signifie pas que le soin en HAD soit pour autant mieux adapté que le soin en les murs. Certes ce dernier « divise »5 le patient en excluant sa dimension sociale, faisant de lui une personne clivée, et en créant ou en renforçant des conflits de rationalité. Néanmoins cela ne veut pas dire que l'hôpital ne s'est pas adapté au patient, ni que la pratique en HAD est mieux adapté que l'hôpital. En intervenant au domicile, c'est tout le contexte du soin qui est changé. Le changement de cadre implique un changement de posture qui n'a pas non plus été envisagé par le politique centré sur la seule dimension gestionnaire (Denis et al., 2015) ; encore une fois, la logique de financiarisation se focalise sur l'acte médical et non sur la dimension sociale (Kannas et Pastour, 2019 ; Saint-Arnaud, 2001). Apparaissent donc des impensés du soin tels que les précarités dont toutes, nous le détaillerons plus loin, sont exacerbées en Guyane : le logement, l'appropriation des contraintes de soin, la dimension affective, les contingences sociales, etc. Cette idée majeure doit être selon-nous gardée à l'esprit : le soin hospitalier à domicile génère des contingences nouvelles et ne peut se résumer à une simple transposition du soin hospitalier au domicile. Nous verrons plus loin en quoi l'action du psychologue en est impactée. Notons surtout que ces contingences entrent clairement en conflit avec la nouvelle mission confiée à l'Hôpital du fait de la mise en place de la T2A (Batifoulier et al., 2017)
Enfin, au risque de sortir de notre domaine de connaissance et de maîtrise, notons que le soin en HAD n'est pas non plus rentable aux yeux de la finance. En effet, la HAD implique... de se déplacer. Les effets sur la gestion des activités de l'entreprise, à fortiori en Guyane ou les espaces sont plus étendus que les zones urbaines (jusqu'à 30 à 45 minutes de trajet entre deux patients), sont multiples. Au final, le psychologue, à titre d'exemple, se trouve en heures supplémentaires s'il effectue plus de 4 VAD (visites à domicile) par jours. Certains praticiens libéraux en effectuent le triple en demeurant dans leur cabinet, bien moins chère que la location d'un véhicule6. La mobilisation du capital (un parc automobile conséquent est nécessaire et en Guyane, sous les tropiques et sur les chemins de terres non pavés, il s'use à grande vitesse), la difficulté à concilier un lieu fixe (une base) avec la mobilité des personnels sont autant d'avatars que les financiers pourtant ravis de pouvoir capter les subventions des ARS et d'être financés par la sécurité sociale n'avaient visiblement pas anticipé. Il faut le dire : le soin en HAD n'est pas nécessairement rentable, pas autant qu'une clinique où les personnels ne passent pas jusqu'à 40% de leur temps à se déplacer d'une chambre à l'autre...
Notes :
1« La désinstitutionnalisation peut se définir comme l’ensemble des mesures traduisant la tendance et le modèle consécutif consistant à utiliser le moins possible l’hospitalisation et à privilégier les réponses dans le milieu ordinaire de vie de la personne malade » (Kannas et Pastour, 2019)
2Le décès lui-même intervient souvent, en revanche, en hôpital ou en clinique.
3Denis et al. (2015) se contentent de prendre acte d'une évolution « politico-administrative » sans réelle prise de position, mais les auteurs disent dans leur texte « ne pas avoir échappé » à cette logique globale, ce qui laisse penser qu'ils auraient souhaité la fuir...
4Les Services de Soin Infirmier au Domicile (SSIAD) sont en charge de dispenser ce type de soin « dispersé »
5Nous nous permettons de reprendre le terme de Marx au sujet du travailleur divisé dans le livre premier du Capital pour le reporter certes improprement au niveau du patient.
6N'oublions pas non plus que les grandes fédérations de soin ont comme source de revenu principale le capital immobilier : « Les montages et les stratégies d’ORPEA apparaissent de plus en plus comme ceux d’une société d’investissement immobilier plutôt que d’un professionnel du soin. La prestation de soins, laquelle dépend beaucoup des dépenses et subventions publiques, apparaît ainsi passer au second plan par rapport à l’extraction de bénéfices tirés de biens immobiliers » affirmait un rapport conjoint du CICTAR, de la CGT et de la CFDT initiant en 2022 le scandale dit de l'ORPEA-Gate.
Bibliographie :