⁂ La maternité des femmes mineurs et très jeunes adultes en Guyane Partie.3(1) Etudes de cas

Dans le cadre de la suite d'articles présentés sur ce blog et relatifs à la maternité chez les femmes mineurs et les jeunes femme en Guyane, nous proposerons plusieurs études de cas. Nous avons compilé 19 cas parmi la vingtaine que nous avons suivi afin de réaliser cette recherche. Chaque patiente a été renommée afin de préserver l'anonymat néanmoins cela ne nous a pas paru suffisant pour garantir l'éthique à chaque fois, certains cas ne seront donc pas présentés ici.

Nous commencerons ici par présenter 6 de ces femmes renommées Betsy (16 ans, mère de jumeaux, d'origine Brésilo-Amérindienne) ; deux jeunes femmes ayant eu un vécu de Restavèk :  Carmène (18 ans, Bushinengue) et Emiliana, (20 ans, Brésilo-Amérindienne et ancienne), ainsi que Helena (18ans, suivie pour son second enfant), Ilana (19 ans) et Fany (17 ans).


Betsy : 16 ans

Betsy vit chez son père et sa belle-mère, elle considère celle-ci comme étant sa mère. Elle a 16 ans, son compagnon 22 – il travaille. Nous la rencontrerons dans le cadre d'un suivi pédiatrique du fait de la prématurité des jumeaux dont elle vient d'accoucher. La patiente n'a pas été élevée par sa mère qui « ne l'aimait pas » estime-t-elle. Son père s'est remarié avec sa cousine, ce qui vaudra à Betsy de nous dire que le couple de son père et sa belle-mère « s'entendent super bien, on a l'impression qu'ils ont été fait pour se rencontrer. En plus, ils sont cousins... » phrase dont l'ironie, ou du moins ce qui chez nous tient lieu d'ironie, semble lui échapper. Betsy a effectué une tentative de suicide ayant conduit à une hospitalisation de 3 mois l'année précédent la naissance de ses deux jumeaux. Notons que sa belle-mère est hautement dépressive (elle aura effectué une TS elle aussi). Chez les Amérindiens, la dépression est causée par de petits êtres qui se rendent dans la chambre du déprimé (d'où des idées noires nocturnes – et éventuellement le fait de ne pouvoir dormir sans la lumière allumée). Betsy nous dira avoir vu ces êtres rentrer dans la chambre de sa belle-mère alors en proie à un épisode dépressif : « un soir, j'ai vu les ombres courir et rentrer dans sa chambre ». La question de la magie est très présente dans le discours de ce couple. Elle ne s'oppose cependant pas, voire elle se complète avec la médecine. Ainsi, lorsque les deux parents et les deux nourrissons auront la grippe, le couple parental dira avoir été la cible de magie noire (quelqu'un aura fait le chembwa). Les parents se soigneront avec une médecine locale (plantes), tandis que la santé des nourrissons, eux aussi atteints par cet épisode grippal, étaient laissés aux soins du pédiatre et des infirmières de la HAD.


Carmène: 18 ans

Carmène  est chez sa mère lorsqu'elle est suivie par le service pédiatrie après la naissance de son fils, né grandement prématuré. Elle a vécue dans l'ouest guyanais une vie de « Restavek » : sa mère, dans l'incapacité de s'occuper d'elle, l'avait très jeune placé chez une tante qui aura exploité Carmène parfois avec violence. Carmène en est venue à porter plainte, ce qui va l'obliger à quitter l'ouest, peu de temps avant sa grossesse, pour se rendre chez sa mère avec qui elle cohabite pour la première fois – elle est alors en bac professionnel.

L'arrivée du bébé aura été forcée, expliquera-t-elle. Elle venait d'emménager avec sa mère lorsqu'elle est tombée enceinte. La situation devint conflictuelle ma mère m'a retiré mes papiers, ma carte vitale, elle m'a enfermé dans la chambre jusqu'à ce que j'accepte de garder le bébé. Après, quand elle m'a ouvert, j'ai failli, en ville, faire l'avortement mais je n'ai pas osé ». La patiente affirmera n'avoir jamais été enceinte avant de changer de discours et dire qu'elle avait justement réalisé une IVG plus tôt. Les relations mère-fille sont conflictuelles, d'autant plus que la mère entrave le soin. Nous parviendrons, au cours d'une VAD (visite à domicile) avec le pédiatre à déterminer que la mère de Carmène a perdu un nourrisson à J+7 vingt ans auparavant suite à une malformation intestinale, au Suriname où elle vivait – cette dame ne parle que le Saramaca. Ce deuil qui n'a pas été accompagné résonne à la vue des RGO (Reflux Gastro-Œsophagien) et coliques du nourrisson de son petit fils. Elle projette et réagit en menaçant sa fille, dit à Carmène qu'à toucher le ventre de son fils elle va le tuer, qu'elle va demander à la HAD de le lui enlever pour le placer en famille d'accueil... Le conflit ira jusqu'à voir la grand-mère menacer de tuer le bébé avant de s'effondrer dans une crise de larme – ce que nous racontera Carmène avec un rire nerveux. Nulle surprise à constater que Carmène est atteinte de dépression puerpérale dans ce contexte où la transmission des soins, attitudes etc. à tenir envers son bébé ne se fait pas. « à l'hôpital », racontera-t-elle, « je ne comprenais pas pourquoi le bébé pleurait, je lui ai hurlé dessus » . Lorsque son bébé gigote, elle affirme « qu'il fait des bêtises » et lui maintient ses poignets « pour qu'il arrête de bouger ».

Notons que le père du bébé sera incarcéré peu après que Carmène ne se rende compte qu'elle est enceinte. Sorti de prison peu après la naissance, Carmène fera en sorte que ce père qui souhaitait reconnaître l'enfant ne s'approche d'elle.


Emiliana : 20 ans

Emiliana est née au Brésil. À l'instar de plusieurs des femmes évoquées ici, jamais sa mère ne sera en mesure de s'occuper d'elle concourant à ce qu'elle ne grandisse avec aucun de ses deux parents et déplore un vécu de « Restavek » sur plus d'une année de temps.

Le vécu d'Emiliana est un vécu d'errance : en recherche d'un lieu de vie, sans étayage familial ni affectif, elle aura vécu cinq ans seulement chez un oncle et une tante qui lui auront offert une place d'enfant et un cadre sécure. La famille de son compagnon chez qui nous la rencontrons en début de suivi est située dans un quartier nommé « Chicago », surnom guère usurpé : dans une des maisons voisines vivait un de nos patient qui aura survécu à deux tirs à bout portant de fusil à pompe... À ce moment elle vit donc chez la famille de son compagnon, un jeune de 16 ans, délinquant, contre lequel elle aura, au cours de sa grossesse, porté plainte pour violences. Elle partira de chez lui pour aller chez une grand mère (ancienne SDF) puis une tante (anciennement prostituée). Lors des contrôles sanguin en début de grossesse, il s'avérera que le compagnon d'Emiliana, le seul avec qui elle aura eu des relations intime, lui a transmit le HTLV 1 et 2...

Fatiguée, avec un sentiment de solitude en dépit de sa famille (et fortement attachée à sa grand-mère qu'elle sent se laisser glisser), Emiliana nous dit ne pas penser au suicide. « S'il n'y avait pas mon bébé, peut-être... » Ce bébé lui offre un sens qui autrement lui manquerait. Elle est certes fortement préoccupée mais ne nous paraît pas assaillie d'angoisses. Si comme Déborah elle sent de temps à autre des « yeux » l'observer, c'est parce que l'appartement dans lequel vit sa tante a été le domicile d'une personne qui « faisait le chembwa », mais elle n'accorde guère plus d'importance à ce qu'elle estime être des racontars d'enfants (elle s'occupe de deux neveux) sur une magie qu'elle dit savoir exister mais dont, selon toute évidence, elle est émotionnellement distanciée. En dépit de ce sentiment remplit par un bébé dont elle peine parfois à comprendre les réactions, elle garde une très lucide analyse de la situation et s'offre le luxe de faire tampon entre ses neveux et sa tante. Une partie du travail consistera à établir avec elle une stratégie pour qu'elle quitte la Guyane à l’insu du père de son fils, aux aguets.


Fany : 17 ans
Fany est née au Guyana. Au moment où nous nous rendons chez elle, dans le cadre d'un suivi gynécologique post-partum, elle vit chez sa mère en attendant de reprendre le lycée. Elle aussi a été victime de violences conjugales et ce, depuis l'âge de 14 ans. La grossesse n'aura rien changé. Fany nous aura indiqué avoir subit des violences jusque dans la maternité. Là encore, l'enjeu de la reconnaissance de l'enfant par son père devient un enjeu de lutte dans le couple.

Les attitudes de la mère de Fany sont hautement délétères. Dans la même veine que Carmène, elle déprécie et rabaisse constamment sa fille. D'ailleurs, les coups entre Fany et son compagnon, nous dira-t-elle, elle pensait que c'était Fany qui les donnait. Si Fany pleurait ensuite, c'est qu'elle faisait la comédie pour se plaindre, nous dira-t-elle avoir pensé.

Au cours du suivi, Fany, en raison de l'attitude de sa mère, va se retrouver à dormir dehors ce qui va la conduire à demander au père de sa fille de l'héberger en dépit des violences qu'il affirmait être de nouveau prêt à commettre...

En somme, la mère de Fany n'apporte aucun étayage, aucun soutien ni aucune transmission. Nous devrons faire intervenir l'équipe de l'EM3P afin d'étayer le lien-mère enfant et diffuser des pratiques car Fany n'est pas en mesure d'analyser les signaux émis par son enfant.

Notons toutefois que la mère de Fany est elle aussi enceinte et qui plus est, en pleine dépression (pour compliquer le tout, nous assisterons lors d'une de nos VAD à l'annonce du décès d'un proche de cette femme). Elle aussi a été victime de violences conjugales et a été abandonnée par un compagnon, le père de Fany, ce qu'elle aura caché à ses enfants – plutôt mal car Fany aura fini par l'apprendre. Les disputes entre les deux femmes demeurent régulières. Fany pleure énormément au début du suivi ce qui nous fera poser une hypothèse diagnostique de DPP prenant là encore appui dans un vécu antérieur traumatique persistant.


Helena : 18 ans

La recontre avec Helena lors d'un suivi en pédiatrie est justifié par la situation du second enfant d'Helena, née quelques semaines auparavant, atteinte d'une pathologie lourde et irréversible nécessitant par exemple la pose régulière de sondes urinaires et une attention soutenue - un suivi que les invectives et l'attitude de fuite d'Helena rendront difficile.

Les deux parents consomment une quantité non négligeable de cannabis et seront sinon incapables, du moins en grande difficulté pour trouver une place à minima dans la société, en dehors de compagnons de débrouille.

Ils vivent dans un appartement sis dans un immeuble insalubre que possède le père d'Helena. D'autres de nos patients, dans une situation sociale catastrophique y vivent et payent chère un logement traversé de trombes d'eau lorsque la pluie tropicale se déchaîne. Le logement dans lequel nous rencontrons Helena et son compagnon est de meilleur facture cependant, après le suivi, ces habitations seront rasées.

Helena a déjà eu un premier enfant trois ans auparavant ; lors du premier entretien Helena n'a pas de nouvelles de lui et ne sait si sa mère l'a récupéré ou non de chez son ex-belle famille chez qui il vivait jusqu'alors. Elle finira par le reprendre elle-même avant qu'il ne soit placé en famille d'accueil, quelques mois après le suivi et après avoir subit des violences de la part de sa mère. Helena a déjà vécu des violences conjugales et après le suivi, le père du second enfant sera incarcéré pour de nouveaux faits. Elle s'est auparavant scarifiée et les éléments recueillis nous feront supposer sans pouvoir le vérifier qu'au moins un passage à l'acte a eu lieu. Elle a développé ce que nous questionnerons comme étant une « phobie scolaire » : « en cours, je pleurais beaucoup. Je ne comprenais pas, quand on m'expliquait c'était trop rapide pour moi, alors je ne demandais pas d'aide mais on disait que j'étais nul. Ils ont même cru que j'avais des problèmes dans ma tête ». Elle nous dira avoir été battue par une mère sans aucun doute en proie à de la dépression. Son père semble être dans le laisser-faire, incapable d'occuper une posture étayante envers sa fille.


Ilana : 19 ans

Ilana pensait ne pouvoir être enceinte du fait d'une grosse interrompue quatre ans plus tôt (elle avait 15 ans) et surtout la pose d'un stérilet. Non consciente d'être enceinte, elle raconte avoir ressentie des douleurs au point de s'être rendue aux urgences mais la grossesse n'y a pas été détecté. C'est son gynécologue qui la lui annoncera quelques jours plus tard.

C'est une grossesse gémellaire qu'elle n'accepte pas d'autant plus qu'elle va perdre un des deux fœtus : «  j'ai mal pris l'annonce, je voulais pas, j'ai arrêté de manger et du coup j'ai été hospitalisée. (…) Tous les maux ont cessé quand j'ai commencé à accepter la grossesse ». Quelques semaines avant l'accouchement, elle commencera même à parler au bébé, dans son ventre. L'acceptation tardive s'explique aussi parce qu'au cours de la grossesse, elle découvrira par hasard, sur son lieu de travail, que son compagnon a déjà des enfants et demeure en couple avec leur mère. Cet événement fait écho à un autre : elle a découvert à l'adolescence que son père entretenait une autre famille... Pour l'heure, elle demeure chez sa grand-mère. La séparation de ses parents, au début de l'adolescence a de suite été suivie de crises d'épilepsies. Après après avoir rompu les relations avec sa mère pour les reprendre juste avant le début du suivi, elle sera élevée par sa grand-mère et aura elle-même élevé à partir de 14 ans des enfants de sa famille, illustration d'une logique d'une lignée matrifocale.

Au cours du suivi, nous ferons une hypothèse de dépression puerpérale encrée dans un vécu dépressiogène avec des conduites d'autodestructions passées et une possible autolyse non vérifiée mais dont l'existence semble ne guère faire de doutes – des idées suicidaires récentes seront elles, validées par Ilana. L'appropriation de la présence du bébé vient mettre du sens sur un vécu de doutes. Lors de notre dernière rencontre, nous sommes étonnés des vocalises du bébé lorsqu'il est au repos contre sa mère. La mère nous répond « depuis la fin de la grossesse, je lui chante des chansons ». À quelques semaines de vie, le bébé semble lui répondre déjà en chantant.