⁂ La maternité des femmes mineurs et très jeunes adultes en Guyane Partie.4 Etudes de cas (2)
Ce texte présente une nouvelle série d'études de cas de mère jeunes voir adolescentes pour certaines vivant en Guyane et que j'ai été amené à suivre dans le cadre de mon activité en HAD pédiatrique et obstétrique entre 2021 et 2023 - il se situe donc dans la suite d'articles sur ce thème présenté dans ce blog.
Bien entendu, les noms ont été changés et certains cas ne seront pas présentés ici car les situations par trop singulières seraient identifiables - pour un nombre restreint de personnes, certes, mais ce serait déjà trop.
Suivra une analyse de ces situations présentés ici et dans l'article précédent.
Vous pouvez retrouver le sommaire des articles, y compris ceux n'appartenant pas à cette série en cliquant sur ce lien.
Kelyane : 16 ans
Kelyane vit à Kourou dans une famille créôle, d'anciens voisins qui ont obtenu sa garde exclusive cinq ans plus tôt. Sa mère, qu'elle a côtoyé et côtoie encore mais avec qui elle n'a pas grandit était une ancienne prostituée et toxicomane, par ailleurs atteinte du VIH. Elle n'a pu élever ses enfants (dont un est décédé) ; Kélyane nous dira « j'ai grandit en voyant ma mère partir dans des univers » fait d'alcool et de drogue. Quand sa mère l'appelle, c'est qu'elle se remet à boire.
Entre 6 et 11 ans, Kelyane a été la cible d'attouchements. À partir de son entrée en 6ème elle se scarifie avant de faire trois tentatives de suicide. Elle consomme des toxiques dont de l'extasy lors du confinement en 2020.
Elle raconte son histoire avec calme, dans un français étonnant car très classique. La présence d'éléments faisant craindre une décompensation de type obsessionnelle et compulsive nous poussera à lui recommander de poursuivre une prise en soin psychologique lorsque notre suivi touchera à sa fin. Peut-être ses tendances obsessionnelles sont-elles un détournement du symptôme car, nous dit-elle « je ne suis plus seule, on est deux [elle et son bébé], je ne peux plus me faire de mal (…) ce bébé, c'est ce qui me fait ternir depuis ma grossesse ».
Laura : 18 ans
Laura est née en Haïti, elle rejoindra sa mère venue en Guyane au cours de son enfance. Les relations de sa mère avec elle et sa sœur seront compliquées avant de prendre un tour dramatique. Un peu plus d'un an avant sa grossesse, Laura sera mise à la porte. Les services sociaux contraindront la mère à reprendre sa fille au domicile. Pour pousser Laura et sa sœur à partir, elle leur ôtera de façon croissante tout confort, jusqu'aux lits, conduisant Laura, enceinte, à dormir sur un fauteuil.
Proche du terme, Laura se trouve contrit de douleurs, sa mère refuse de la conduire aux urgences. Laura s'y rend en transports en communs, atteinte de souffrances insoutenable. Avant de partir, sa mère lui aura tout juste souhaité « bonne chance » avant de rajouter « ce n'est pas la peine que tu reviennes ».
Son accouchement est douloureux et traumatique. Elle sortira de la maternité pour gagner un bidonville près de Roura où sa belle-famille va l'obliger à vivre quasi séquestrée. Lorsque nous la rencontrons, elle ne se nourrit plus, dort mal et ses beau-parents l'empêchent de boire car l'eau fraîche ne serait pas bonne pour les mères (suivant en cela les théories homéostatiques du chaud-froid). Elle vit donc sous un toit en tôle retenant la chaleur tropicale, humide, sans pouvoir boire une goutte d'eau. À chaque visite, nous lui apportons une bouteille fraîche – elle ne peut en cacher, sa belle-mère fouille ses affaires. Elle est de même en peine pour garder la maîtrise sur l'éducation de son nourrisson que les beaux-parents obligent à se nourrir de bouillie alors qu'il est grand prématuré. « Mon beau père, il dit que c'est comme ça qu'on nourrissait les bébés avant, et qu'ils grandissait bien ». Il faudra aux équipes de HAD jouer fin pour obliger la famille à suivre les recommandations des puéricultrices. Les tensions au domiciles sont fortes et son compagnon suit les avis tranchés de sa mère au point de se montrer violent et de menacer Laura de la frapper à coup de ceinture.
Dans ces conditions, elle obtiendra néanmoins son bac général juste à la fin du suivi, sans avoir demandé d'aménagements de cours.
Merieme : 17 ans
Merieme est suivie dans le cadre de la naissance de jumeaux. Son père a dû s'occuper d'elle car sa mère ne souhaitait pas l'élever « elle a voulu me tuer » racontera-t-elle. Ses parents se sont séparés tôt dans sa vie, la mère de Merieme présentant des troubles psychiatriques empêchant des relations familiales apaisées.
À peine Merieme entre-t-elle dans l'adolescence que son père, tout concerné qu'il est par sa carrière, s'en va en métropole. Elle le suit mais lorsqu'elle rentrera visiter ses grand-parents en Guyane, au cours d'un été, elle refusera de prendre un vol retour et décidera de rester chez eux. Elle ne les quittera que lorsque son père rentrera de métropole.
Ce père est autoritaire, de même que le père de Josepha il refuse la maternité de sa fille ainsi que l'éventuelle venue de son compagnon au domicile. Elle, en revanche, se sert de son statut de mère pour quitter le domicile conflictuel du père et s'en aller vivre en appartement avec son compagnon. Notons que la belle-mère de Merieme aura transmit des éléments étayants quant au maternage, là encore dans un mixe d'éléments empruntés aux pratiques amérindo-antillaises.
Netsy : 19 ans
Netsy dépareille du reste des mères présentées ici. Son père, issu d'une famille d'entrepreneurs, a une situation stable. Il est « ancienne école », c'est un père autoritaire qui a eu des enfants d'un premier mariage dont un fils qui s'est suicidé quelques années auparavant. Dans ce foyer nul ne parle pas de cette absence rendue pourtant évidente par une photo de ce fils disparu placée au milieu du salon. Netsy a rencontré le père de son enfant alors qu'elle effectuait un stage dans l'entreprise de son père à elle – une sorte de crime de lèse-majesté pour lui qui n'appréciait pas cet employé dilettante à l'habitus de « petite frappe » qu'il n'avait daigné reconduire.
Netsy s'est aperçue avec difficulté qu'elle était enceinte, il s'est agit d'un déni de grossesse. Son compagnon n'avait pas attendu cette annonce pour rompre avec elle sans grande finesse. Le point de blocage s'est alors cristallisé autour de l'annonce de la grossesse à son père qui n'allait pas manquer de générer un conflit. Lors d'un examen dans le service Obstétrique du CHC, il est décidé de se lancer. Certes le père de Netsy explose, mais après cette annonce, le ventre de la jeune fille va s'arrondir. À son grand étonnement, lorsque nous intervenons au domicile, l'homme qui n'a jamais « aimé les bébés » commence à présenter de l'intérêt pour la grossesse de sa fille et l'arrivée de son futur petit fils.
Osuna : 18 ans
Osuna est arrivée en Guyane peu de temps avant de tomber enceinte. Elle venait rejoindre sa mère partie quelques temps auparavant et surtout son père, exilé depuis plus longtemps. La grossesse d'Osuna ne rentre pas dans les projets familiaux et pour ainsi dire, ils renvoient, là encore, à un impossible. Cette grossesse va générer des tensions extrêmes dans la famille et jusque dans le psychisme de chacun au sein de cette famille, si bien qu'Osuna va, au moment de l'accouchement, déclencher une psychose puerpérale sévère marqué par un épisode de délire et d'une anosognosie. Lorsque nous la rencontrons, les relations avec son fils sont toujours compliquées (au début, elle ne souhaitait pas même le toucher).
Notre suivi s'effectuera surtout auprès de la mère d'Osuna – cette dernière étant dans le refus de notre présence. Les échanges avec sa mère permettront d'apaiser celle-ci et partant, les relations entre elle et sa fille. Nous pourrons ainsi déterminer comme les 'malheurs' de cette famille, selon cette femme pourtant dévote, étaient causés par le « fétiche », probablement effectué suite à une vengeance en Haïti. Cet élément nous montre comme l'exil est l'occasion pour les migrants de faire évoluer des croyances, de les mélanger en un syncrétisme synonyme d'innovation, au sens de Moscovici – preuve d'un acte de personnalisation (Malrieu, 2003).
Polyane : 17 ans
Polyane est suivie par la HAD obstétrique. L'équipe est questionnée par les attitudes de cette jeune femme. Réservée, elle parle peu et l'hypothèse d'une légère déficience cognitive n'est pas à exclure. D'un autre côté, la biographie familiale comporte de nombreuses zones d'ombres et certainement des traumas enfouis – sa mère vient de Sainte-Lucie, son père d'Haïti mais il nous sera impossible d'en savoir plus, l'histoire familiale n'ayant pas été transmise. Nous aurons donc accès à peu d'informations. Polyane vie chez sa mère, avec son frère. Elle aurait souhaité accéder à des formations manuelles mais son frère va le lui déconseiller et insister pour qu'elle s'engage dans ce qu'il estime devoir être des formations « de femme ».
Tombée enceinte une première fois, elle avait fait une fausse couche. Le père du bébé ne sera pas présent, ce sera à sa mère à elle de s'occuper du nouveau né. La transmission est à ce point rompue que pour ces deux grossesses, Polyane n'a pas pu interpréter des signaux indiquant qu'elle était enceinte et découvrira donc cette grossesse très tardivement.
Qora : 16 ans
La situation de Qora, lorsque nous la rencontrons, est difficile. Elle vit chez sa mère (son père réside non loin mais n'est pas considéré comme une ressource), au sein d'une maison où cohabitent quatre générations. La mère de Qora est la cheffe de maison et nous dira explicitement ne pas accepter d'homme son son toit – la nuit s'entend, puisqu'elle n'hésitera pas à nous confier des aspects de sa propre vie intime. La mère de Qora rapporte des ressources financières et entend réguler la vie au domicile. Or la grossesse de sa fille n'était pas ce qu'elle souhaitait. « Je me tue à la tâche pour elle, et elle, elle ne va pas à l'école. Elle va faire comme j'ai fais [être mère à 16 ans], alors que ce n'est pas la bonne solution ». La mère, modèle à suivre, demande ici à n'être pas suivie - injonction paradoxale. Qora pleure doucement lorsque sa mère n'est pas présente pour phagocyter toute l'attention. Elle souhaiterait que son compagnon puisse être d'avantage présent, ce qui relève quasiment de l'impossible.
Rina : 18 ans
Originaire de l'Ouest Guyanais, Rina fait partie de ces nombreuses jeunes Saramaca venue s'installer plus à l'est. Elle vit chez une « tante » (sa grand-mère) à Kourou, avec un oncle ou un cousin – il sera impossible de le savoir exactement. S'il est déjà difficile d'établir un échange avec Rina, lorsque cet homme arrive, plus rien n'est possible. Il regarde la télé en faisant mal semblant de ne pas écouter nos échanges. Lorsque la télévision se coupe, il ne fait pas même l'effort de la rallumer pour donner le change. Son ombre alourdie l'atmosphère du domicile. Lors du second et dernier entretien réalisé dans le jardin, seuls, Rina sera certes plus prolixe mais se montrera uniquement préoccupée par des thèmes éloignés de la grossesse en cours. Il sera difficile de se saisir de la façon dont elle se l'est appropriée ce qui est peut-être un début de réponse, à savoir qu'elle ne se la sera probablement pas conscientisée...
Quoiqu'il en soit, les caractéristiques concernant le père de l'enfant étant floues, l'équipe se demande dans quelle mesure ce père ne serait pas l'oncle, au domicile. Notons qu'une collègue aura porté plainte contre lui pour exhibitionnisme : quelques semaines avant que Rina ne soit prise en soin, en se rendant chez une autre patiente résidant dans le voisinage, l'homme s'était exposé nu, avec insistance, sur le pas de sa porte.
Sophie : 17 ans
Issue elle aussi de l'ouest Guyanais, Sophie se montre peu bavarde et pour ainsi dire, il aura fallu insister pour obtenir d'elle quelques mots. Au moment de sa grossesse puis après son accouchement, elle vit chez la mère d'une amie, avec cette amie et d'autres femmes, dans une maison du quartier de Cogneau-Lamirande. La mère de cette amie a obtenu la tutelle. C'est elle qui est la locataire principale, qui gère la maison, ramène les ressources, fixe les règles, transmet son savoir aux jeunes femmes concernant les relations et les soins à conférer aux nourrissons tout en s'occupant de la partie administrative de tout ce monde. Trois générations se côtoient sous le même toit. Les hommes ne sont pas le bienvenu en revanche, la tutrice de Sophie est prolixe et veille à ce que le psychologue, quoique n'étant pas une femme, ne soit importuné par les enfants au cours des échanges avec elle. Là encore, le suivi aura eu cours non pas auprès de la patiente mais de la cheffe de maison.