❑ Du « désir d'enfant » au « bébé-résilience » : étude sur la maternité des femmes mineurs et très jeunes adultes en Guyane Partie.5 - Analyse des données
Ce texte est une analyse des données tirées de la population décrite en majeur partie dans les deux derniers articles (vignettes cliniques 1 et 2) ainsi que d'autres cas qui n'ont pas été communiqués pour des raisons de confidentialité.
Pour rappel, les cas sont des mères jeunes (entre 13 et 21 ans) rencontrées dans le cadre de suivis obstétriques et gynécologiques.
Dans cette première partie seront détaillées les données ayant trait à la situation sociale des sujets, à leurs relations conjugales au moment du suivi, à la dynamique familiale, à la santé psychique et aux spécificités des grossesses.
Ces premières analyses permettront de distinguer l'important niveau des violences vécu par ces femmes d'une part ; une structure matrifocale sinon matrilinéaire d'une part avec un habitat féminin collectif (absence très marquée des hommes) et enfin la généralisation des conflits très profonds entre les patientes et leurs mères. On s'en doutera, la santé psychique de ces femmes apparaît comme ayant été fragile et le demeurant.
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Analyse des données de la population :
La population de notre étude est donc composée de 19 femmes. Au moment où nous les rencontrons pour la première fois (nous le verrons, plusieurs changeront de domicile) 3 sont sur Kourou, le reste réside sur l'île de Cayenne (5 à Matoury, 5 à Cayenne, 3 à Rémire, 2 à Soula et 1 à Sablance).
Leur âge s'étire de 13 à 21 ans, réparties ainsi : 13 ans = 1 ; 15 ans = 1; 16 ans = 3 ; 17 ans = 4 ; 18 ans = 6 ; 19 ans =2 ; 20 ans = 1 ; 21 ans = 1.
Situations sociales :
Deux de ces jeunes mère, Natsy, 19 ans et Adène, 18, sont issues de familles à la situation économique stable (parents cadres). Ce sont deux familles Guyanaises.
Deux vivent dans des squats (bidonville) dont Laura et Gan ; quatre autres dans des quartiers de résidence type « Favelas ».
Quatre de ces jeunes femmes changeront de domicile au cours du suivi. Déborah sera la seule à se rendre dans un habitat plus précaire que celui de départ, nous en avons vu les raisons.
Six sont en passe d'obtenir un bac : Adène, Betsy, Carmène, Fany, Laura et Natsy. Six sont déscolarisées et au moins deux ne savent ni lire ni écrire : Gan et Helena. Ilana travaille, Déborah aussi au début du suivi mais dans des conditions particulières (travail non déclaré à son insu), d'autres sont en formations de type CAP ou bien essaient d'y entrer. Osuna est encore au collège.
Les situations conjugales :
Le compagnon
Sur ces 19 femmes, 12 peuvent être considérées comme étant célibataires. Betsy est en couple avec un compagnon très présent ; Mériem va aller vivre en ménage en fin de suivi. Qora, Osuna et Johanna sont dans l'impossibilité, de par la pression de leur famille, de rencontrer leur conjoint, celui d'Adène est mis dans une situation précaire par la mère et les tantes d'Adène. Le compagnon d'Helena sera incarcéré du fait de violences conjugales.
Irène, Natsy, Polyane et Kélyane auront vu leur compagnon les quitter alors qu'elles étaient enceinte.
Sophie, Carmène et Déborah (toutes trois Bushinengue) refuseront que leur compagnon reconnaisse l'enfant. Ce sera aussi le cas de Rina (elle aussi Bushinengue) mais les conditions nous empêcherons dans ce dernier cas de déterminer la place symbolique de ce père. Il semble que le compagnon de Fany n'a pas non plus mené les démarches à terme pour reconnaître sa fille.
Violences conjugales
Helena, Fany et Emiliana seront la cible de violences conjugales avant, au cours et après leurs grossesses.
Laura a été physiquement menacée (menaces de coups de ceinture). La grossesse de Gan résultera d'un viol.
Délits et actes délictueux
Les délits et actes délictueux commis par les personnes ou leur entourage, les passages à l'acte violent, etc. nous semblent conférer au contexte social et psycho-social de certaines patientes un fond au sujet duquel il paraît difficile de faire l'impasse.
Ainsi, trois patientes auront eu un compagnon qui effectuera juste avant, au cours ou juste après le suivi un passage en prison : ceux d'Adène, d'Helena, de Carmène,
Emiliana aura porté plainte contre le père de son enfant. Carmène aura dû porter plainte contre une tante. Elle et Emiliana auront eu un vécu de « Restavek ».
Déborah aura effectué elle-même un temps de détention. Deux de nos patientes auront eu des mères qui auront eu recourt à de la prostitution (Kéliane et Gan), sans compter la tante d'Emiliana.
Dynamique familiale et filiation
Structures familiales :
Dans 13 cas sur 19, les structures familiales où résidaient les femmes que nous avons rencontré pour des suivis HAD dans le cadre de cette étude étaient des structures matrifocales. Les hommes n'étaient par exemple pas tolérés chez Sophie, Qora, Adène, Carmène ou encore au domicile de Déborah au début du suivi. Chez la tante d'Emiliana (et chez sa grand-mère de même, au moment où elle y réside), chez Fany, Polyane, Gan ou Rina les hommes étaient tolérés mais le domicile était géré par des femmes.
Notons que si Betsy et Helena vivent chez leur père, celui-ci n'est pas présent lors de nos VAD, par contre leur compagnon est venu vivre chez elles.
Habitat :
8 de nos patientes habitaient chez leur mère et 6 autres résidaient chez une « tante », terme à comprendre à la fois au sens de la famille française (la sœur de la mère ou du père du sujet), à la fois au sens large (grand-mère) ou au sens non familial (une figure d'attachement maternelle représenté par une personne située hors de la lignée familiale). 14 sur 19 vivaient donc chez des femmes, sans leur père.
6 habitaient chez leur père : Merieme, Betsy, Helena, Osuna, Johana et Natsy. Seule Betsy et Helena n'entretenaient pas de relation conflictuelle avec lui, Merieme finira par quitter le domicile de son père pour rejoindre son compagnon.
Trois ont fini par vivre seule ou avec leur compagnon : Déborah, Merieme et Laura, contrainte de se rendre dans la famille de celui-ci.
Père :(nous parlerons ici du père des patientes, et non de celui des nourrissons)
8 de ces jeunes femmes ne connaissaient pas leur propre père ; 5 d'entre elles le connaissaient mais ne le fréquentaient jamais ou rarement. 4 étaient en conflit avec lui.
Betsy et Helena, nous venons de le dire, n'avaient pas de relations conflictuelles mais rien n'indique non plus que ces relations soient étayantes, au contraire même. Ces hommes, au final, nous ne les auront pas vu. Notons tout de même que dans ces deux cas ainsi que dans le cas de Natsy, le père est détenteur d'un capital économique non négligeable, le père de Merieme est aussi dans une logique entrepreneuriale. Lorsqu'il est présent, même dans les cas des deux mères nées en Haïti que sont Johana et Osuna, le père est le patriarche et principal détenteur des ressources.
Mère :
Au cours de leur vie, y compris au moment de la naissance de leur enfant, 13 de ces femmes ont été séparées de leur propre mère. Sur les 19, 17 avaient eu avec leur mère des conflits graves (c'est le cas de Fany, que sa mère a laissé se faire frapper par son compagnon, d'Osuna en conflit avec sa mère qui n'accepte pas sa grossesse). Nous parlons ici de vécu d'abandon ayant entraîné un abandon effectif, de violences physiques, de dénigrement outrancier, et non de simples disputes fussent-elles appuyées.
Seules Polyane et Adène ont affirmé ne pas avoir de conflits avec leurs mères autres que des tensions classiques à tout cercle familial.
En l'absence de recueil systématique il est de dur de conclure sur un autre point qui toutefois ferait sens : les mères des patientes semblent presque toutes avoir elles aussi avoir eu des grossesses très jeunes, avant 20 ans. Si nous évoquons ce point sans avoir de « données factuelles » à apporter c'est que nos suspicions sont cependant suffisamment fortes. La mère de Qora par exemple fulminait contre sa fille en disant qu'elle avait souhaité tout sauf que sa fille ne devienne elle-même mère trop tôt.
Conclusions sur le cercle familial :
La teneur de la conclusion sur le cercle familial ne souffre d'aucun doute : les cercles familiaux de nos patientes sont tous marqués par des conflits sévères allant des tensions abruptes dans le meilleur des cas (Natsy, Ilana), à l'abandon du père, en passant par celui du compagnon jusqu'à atteindre les violences multiples, le viol, la drogue, la prostitution, l'absence de domicile (Emiliana). Et encore ne parlons-nous que du cercle familial en excluant les parrains, amis, etc.
Aucune de nos patientes n'y a échappé. Le capital économique est souvent faible sinon inexistant, le capital social est parfois négatif, les transmissions symboliques sont dans plusieurs cas négatives ou faiblement étayantes.
Santé
Santé psychique :
11 des 19 femmes interrogées et suivies présentaient des troubles psychiques allant de la décompensation psychotique lors de l'accouchement (PPP, 1 cas certifié, 1 suspicion) à la dépression puerpérale, des pathologies prenant dans tous les cas des racines dans le vécu. Kéliane, Carmène, Betsy et Déborah auront fait de façon avérée des tentatives de suicide, donnant lieu à trois mois d'hospitalisation pour Betsy. Irène déclarera avoir eu des pensées suicidaires récurrentes à l'adolescence, Helena se sera scarifiée sans que la survenue d'une TS puisse être certifiée.
Selon toute évidence, le syndrome touchant Adène semble avoir une origine psychosomatique.
Parmi ces 19 femmes, 7 ont des traumas suite à des viols. Parmi elle, 4 consomment ou ont consommé des toxiques dont du crack.
Grossesse :
7 sur 19 ont déjà eu une grossesse auparavant conclue par une naissance (Gan et Helena), par des fausses couches (3 que pour Déborah) ou des IVG.
Au cours des grossesses ayant motivé le suivi ou bien auparavant, se comptent 4 dénis de grossesse.
Les grossesses ont globalement été douloureuses, les accouchements difficiles, se concluant dans bien des cas par des prématurités. L'interprétation pourrait être que ce taux élevé est déterminé par le suivi HAD néanmoins le taux de prématurité et de pathologie nous a cependant semblé ne pas dépareiller de la normale des grossesses chez les femmes guyanaises, quelle que soit leur origines.